Quand cinquante personnes se posent la question du monde dans lequel elles veulent vivre, elles finissent par le créer. C’est ce qui s’est passé à Ottignies, où un écovillage a été créé. Rapports.
12 juin 2023. La Belgique connaît officiellement sa première canicule de l’année. A la sortie d’Ottignies, l’asphalte bouillant s’échappe vers un îlot de fraîcheur, tant en degrés qu’en idées. Le virage du chemin contourne une imposante ferme. Blanc, comme souvent en Brabant wallon.
En janvier 2020, une quinzaine d’âmes s’installent les lieux qu’ils baptiseront l’Arbre qui pousse. Sur la colline d’un terrain attenant à la grange, un tilleul est planté pour l’occasion. Le premier d’une longue série.
Trois ans plus tard, une trentaine de personnes y vivent, soit dans des appartements à la ferme, soit dans des logements légers sur ce qu’on appelle « l’aire de jeux », face au porche rouge. Le lieu est composé d’une crèche, d’une boulangerie, d’une cave, d’un restaurant, d’un atelier vélo, d’une pépinière et de généreux maraîchers qui vendent leurs produits sur un marché organisé dans la cour de la ferme le vendredi.
“Miracle, un confinement”
A la genèse du projet, Arthur, Juan et Pauline. Les trois sortent de leurs études “un peu utopistes, un peu optimistes, un peu déçus de ce que le monde avait à nous offrir, mais surtout avec une envie de vivre notre rêve”. Enfin, ce rêve est devenu réalité et attiré quelques dizaines d’utopistes. Au-delà du niveau personnel, « c’est devenu un projet de société “.
Car à l’Arbre qui pousse, chacun a compris que la question écologique n’est pas un sujet comme les autres. Elle doit être transversale, concerner le logement, la consommation, l’urbanisme, les navettes. Au final, tout ici a été repensé pour réduire ses émissions et augmenter sa résilience.
Pourtant, l’Arbre qui pousse « n’est pas dans une logique de rupture, mais dans une volonté de trouver de nouveaux modèles avec de nouveaux acteurs », ajoute Pierre-Alexandre, neuroscientifique et membre de la première heure.
« Au 20e siècle, le modèle était conçu autour de la voiture, cela nous confinait à nos maisons à quatre faces, et le temps devenait une denrée rare. En mutualisant certains biens et services, en rapprochant les lieux de travail, les points d’approvisionnement en pain et en légumes notamment, les membres de l’Arbre en croissance sont redevenus maîtres de leur temps. Et par conséquent, leur mode de consommation, leur rapport au travail, et le sens qu’ils lui donnent.
En donnant du temps et de l’attention à quelque chose, nous lui donnons de l’amour. Et c’est comme ça que quelque chose devient beau
reynald
Le timing a aidé. Quelques semaines après le début de l’occupation de la ferme, la crise sanitaire s’installe en Belgique et bouleverse les plans de toute une société. Pour Reynald, en particulier, c’était « un miracle “. Après 20 ans passés dans le quartier de la Baraque à Louvain-la-Neuve, l’artiste et tarologue frappe à la porte de la ferme. Il cherche un habitat léger et un coin de verdure où il pourrait déposer sa yourte afin de donner des formations et des ateliers. Les habitants lui offrent un terrain, autrefois utilisé comme petite décharge.
« En donnant du temps et de l’attention à quelque chose, nous lui donnons de l’amour. Et c’est ainsi que ce quelque chose devient beau. « Depuis, Reynald a animé un » brigade de beauté », composé de citoyens désireux de mettre la main à la terre, et d’entretenir les espaces verts de l’Arbre qui pousse.—Juan, co-fondateur de Growing Tree
Pas une bulle, une oasis
Certains avis arrêtés envisagent parfois des écovillages comme une petite sectee, vivant reclus du monde extérieur. Sur l’Arbre qui pousse, le lien avec les quartiers environnants n’était pas seulement une clé de réussite, « mais une condition nécessaire au projet », précise Pierre-Alexandre. Pour preuve, l’écrasante majorité des enfants en maternelle (avec la pédagogie Montessori) ne vivent pas à la ferme. Idem pour les clients de la boulangerie “le clan pains”, du maraîchage ou de l’atelier vélo.
C’est aussi une question de chiffre d’affaires. Mais il s’agit avant tout de faire briller l’Arbre qui pousse et autres tiers lieux du genre. « Les inondations de l’été 2021 ont été vraiment un choc pour les institutions politiques, commente toujours Pierre-Alexandre, qui a l’habitude de travailler avec les pouvoirs publics. Au niveau municipal, la résilience et l’adaptation deviennent des priorités. Il faut aider les communes et les régions à devenir des plateformes sur lesquelles construire des projets, et sortir de la logique de haut en bas. »
Mais l’Arbre qui pousse est aussi un cheminement personnel, échappant à tout dogme religieux ou politique.
Dans les champs derrière la ferme, Ali brave le soleil de plomb armé d’un outil agricole qu’il utilise pour ameublir le sol. A 50 ans, l’homme qui tenait un snack près de la barrière Saint-Gilles a fui Bruxelles, sa vie nocturne épuisante et ses excès pour vivre à l’Arbre qui pousse et commencer son maraîchage, après une formation à l’IFAPME.
Quand il en parle, son visage s’emplit d’émotions « ce que j’aime le plus c’est transmettre mon métier aux enfants, c’est l’avenir. Si on inculque le fait de prendre autant soin de l’humain que de la fourmi, même s’il n’y a qu’un seul enfant par atelier qui le comprend, c’est le début d’une aventure. »
Ali, 50 ans, a quitté son snack de Saint-Gilles pour faire du maraîchage à l’Arbre qui pousse.
En interne, le collectif joue aussi son rôle. Parfois de façon organique, comme lorsqu’un bambin de la communauté traverse des ennuis de santé et que les parents trouvent, au retour de l’hôpital, un appartement rangé et une table dressée.
Parfois de manière plus structurelle, avec quatre « synergies », des groupes de travail chargés de réaliser des tâches liées au vivre ensemble, à la solidarité, à l’environnement ou à l’animation. En parallèle, la Conseil d’administration mixte – composé d’une dizaine d’élus – se réunit une fois par mois pour prendre des décisions plus stratégiques pour la collectivité.
L’arbre qui pousse est le pays de ceux qui n’ont pas trouvé leur place dans un monde qui force l’efficacité sans prendre la peine d’admirer la beauté de la vie. Mais pas seulement. C’est aussi le pays des économistes, des neuroscientifiques, des ingénieurs. En fait, c’est la terre de ceux qui veulent (re)donner du sens à leur mode de vie. Et, près de leur Arbre, ils semblent vivre heureux.
Sylvain Anciaux
