Zenitude
Consommer moins et vivre autrement

Travailler moins pour vivre mieux

Pour Céline Marty, pour améliorer notre rapport au travail, il faut s’engager dans un cercle vertueux antiproductiviste : consommer moins pour produire moins pour travailler moins.

« Tu travailles dans quel secteur ? », « Qu’est-ce que tu feras comme métier quand tu seras grand ? », « Tu as bien travaillé à l’école ? ».

Survalorisé dans notre société, le travail est souvent perçu comme un élément constitutif de l’identité d’une personne. Comment expliquer ce culte voué au travail ? « Avec le capitalisme industriel et la diffusion du salariat au XIXème, puis la disparition des rentiers dans l’après-guerre, il est devenu normal, même pour les riches, d’avoir un emploi, c’est-à-dire une activité rémunérée qui ouvre des droits sociaux.

On a accepté cette situation comme une nécessité », explique Céline Marty, doctorante en philosophie à l’université de Franche-Comté.

Des métiers « essentiels » mais pas de revalorisation des conditions de travail

Le Covid n’a-t-il pas remis en question cette survalorisation du travail ? Pour l’enseignante-chercheuse, les personnes se sont, certes, posé des questions sur leurs situations individuelles lors de la pandémie : suis-je épanoui dans mon job ? Dois-je démissionner ?

Changer de voie professionnelle ? Selon un sondage de la fondation Jean-Jaurès, un tiers des actifs ont d’ailleurs exprimé un souhait de mobilité professionnelle ou géographique durant cette période. « Mais cela n’a pas eu de traduction politique, remarque Céline Marty. Il y a eu un discours sur les métiers essentiels durant la pandémie mais pas de revalorisation en profondeur des conditions de travail de ceux qui exercent ces métiers ni de suppression des métiers non essentiels. »

Pourtant, le travail est loin de combler tous les actifs. Du travailleur précaire à celui qui ne comprend pas l’intérêt de son bullshit job en passant par le professionnel usé physiquement ou mentalement par son activité, le travail engendre de nombreuses situations de mal-être.

« Il y a une dissonance entre le discours politique et la contestation sociale, analyse la philosophe du travail. A droite, comme à gauche, il n’y a pas de critique du contenu du travail et il y a peu de dénonciation des mauvaises conditions de travail, alors même qu’il y a une réalité de la souffrance au travail. » 

La remise en cause des conditions de travail s’est notamment invitée sur le devant de la scène politico-médiatique au moment de la crise des Gilets Jaunes : « Il est d’ailleurs intéressant de voir qu’ils se rassemblaient le samedi, un jour où une majorité d’actifs ne travaillent pas. Les marges de contestation sont réduites par le travail, on s’assure que tout le monde reste à sa place, c’est une sorte de discipline politique. » L’autre critique du travail émane, elle, des écologistes : « Le travail étant la principale activité qui consomme nos ressources, il a un impact énorme sur notre planète. Mais, encore une fois, il y a un décalage entre les propositions de la Convention citoyenne pour le Climat et le manque de volontarisme politique sur le sujet. »

Quelles solutions pour améliorer notre rapport au travail ?

On l’entend, on le lit partout, le grand responsable de ce divorce entre travail et travailleurs serait la perte de sens. Mais, pour Céline Marty, s’attacher à réinjecter du sens au travail est un combat vain pour les entreprises, car la définition du sens varie d’un individu à l’autre. 

« Si cette interprétation du sens au travail est si subjective, alors elle ne peut servir de critère pour réorganiser l’ensemble de la production en indiquant les emplois les moins « sensés » qu’il faudrait supprimer », écrit Céline Marty dans son livre Travailler Moins pour Vivre Mieux*.

De plus, d’après elle, « dans le secteur où le sens au travail est évident, pour les travailleurs comme pour la société, insister sur sa noblesse est souvent un moyen de faire accepter la dégradation des conditions de travail et de rémunération. » 

Ce sont les shit jobs décrits par David Graeber. À l’inverse des bullshit jobs, bien rémunérés, mais peu utiles à la société, les shit jobs sont des métiers valorisés socialement, mais mal rémunérés. C’est notamment le cas dans certains secteurs publics et associations. « Nous vivons dans un système marchand où l’on a besoin de ressources économiques pour vivre et de droits sociaux, ce qui explique que certaines personnes exercent des jobs mal rémunérés, mais qui assurent leur survie. Les ressources pourraient être allouées différemment, c’était notamment la vocation du revenu universel proposé par Benoît Hamon en 2017. Si on en faisait l’expérience, il serait intéressant de voir ce que seraient les réactions des gens. De quel boulot ils démissionneraient ? Certainement d’emplois où ils ont le sentiment d’être harcelés, de postes où ils ont l’impression de ne servir à rien-les fameux bullshit jobs- ou ceux où les conditions de travail sont les plus pénibles. »

Consommer moins, produire moins, travailler moins

Pour améliorer le rapport de vos collaborateurs et de vos candidats au travail, laissez de côté les beaux discours et place aux actes, suggère la philosophe : « Il faut arrêter avec le social washing et le greenwashing.

Quand le fonctionnement est vertueux, les choses se savent par elles-mêmes. Si la communication vient de l’entreprise, les candidats se disent que c’est biaisé. Ils accordent davantage de crédit aux sites d’avis des collaborateurs. Si une entreprise investit énormément dans ses budgets communication et publicité pour promouvoir sa marque employeur, mais rogne dans le même temps sur son budget qualité de vie au travail, c’est un problème. On fidélise davantage les gens en leur proposant une meilleure rémunération qu’en leur montrant un beau post sur les réseaux sociaux. »

Réconcilier les travailleurs et le travail passe donc, à la fois par une revalorisation des conditions de travail, mais aussi un questionnement en profondeur de la nature de celui-ci. Les vraies questions à se poser pour travailler mieux et vivre mieux sont, d’après Céline Marty : « Que voulons-nous produire ? » et « À quelles activités essentielles voulons-nous consacrer du temps ? ».

S’interroger de la sorte permettrait d’engendrer un cercle vertueux : consommer moins, pour produire moins, pour travailler moins, comme l’explique la chercheuse : « Nous vivons dans un système qui a déconnecté besoin et consommation.

Nos achats sont alimentés par des désirs modelés par la publicité. Quand je me promène dans une rue où il y a dix enseignes de vêtements, je ne comprends pas. A-t-on besoin qu’autant de magasins qui nous proposent cette même paire de chaussettes noires ? Le gâchis alimentaire, l’obsolescence programmée par les industriels, l’extraction massive de métaux pour produire tous ces appareils technologiques nous donnent le vertige. »

Le remède à cet emballement productiviste ? 

« Se débarrasser du superflu pour écouter nos besoins réels. Dans les périodes de crise ou d’inflation que nous vivons, les gens rognent sur des dépenses non essentielles.

Au niveau de l’entreprise, il faut réfléchir également à ses besoins. Ils sont évidemment différents selon qu’on est une entreprise du CAC 40 ou une PME. Le modèle d’expansion à tout prix n’est sans doute pas souhaitable. Il faut avoir conscience de l’impact écologique du travail qu’on consomme et qu’on implique.

Et se poser la question de ce qu’on veut produire et comment. »

Consommer et produire de manière plus raisonnée conduit à travailler moins, dans de meilleures conditions. Réduire le temps de travail, oui, mais de combien ?

Se borner à travailler une à deux heures de moins par jour serait contreproductif, juge Céline Marty : « Le philosophe André Gorz avançait déjà l’idée que si les personnes travaillaient une heure de moins par jour, elles emploieraient ce temps à consommer davantage, que ce soit des séries Netflix ou des livraisons de sushis. La piste de la semaine de quatre jours me semble intéressante.

On se rend compte que ces trois jours de pause sont appréciés, que la réduction de travail à salaire égal est un modèle qui fonctionne. D’autant plus qu’on est dans une économie de service. Le tout est de faire confiance à ses employés. Les entreprises peuvent également envisager des dispositifs de réserves de jours de congés payés supplémentaires par an pour se former, prendre soin de ses parents ou de ses enfants. »

*Travailler moins pour Vivre Mieux, de Céline Marty, éd. Dunod

Marion

Fondatrice du blog - Solutions Alternatives

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