Consommer Moins, Permettrait De Réduire Les Emissions De Gaz
Dans le troisième volet de son sixième rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) consacre un tout nouveau chapitre aux options de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui visent la demande, et donc la consommation (et pas uniquement la production).
Il y évalue l’effet des comportements de sobriété des citoyens sur le changement climatique. “Jouer sur la demande permettrait de réduire 40 à 70% des émissions globales de gaz à effet de serre”, éclaire Nadia Maïzi, co-autrice de ce chapitre et chercheuse aux Mines ParisTech. Elle en dit plus à franceinfo.
Franceinfo : C’est la première fois que le Giec se penche sur les solutions liées à la demande, du côté des consommateurs donc. C’est un levier indispensable pour lutter contre le changement climatique ?
Nadia Maïzi : Jusqu’à présent, on était très focalisés sur les solutions liées à l’offre [comment produire en émettant moins de gaz à effet de serre], mais ça ne suffira pas à limiter le réchauffement climatique. Il faut enclencher un mouvement général qui associe les leviers potentiels issus de la demande.
Ce qu’il faut retenir au sujet de notre analyse de la demande, c’est que, si on arrive à mettre en place une combinaison de politiques efficaces, d’amélioration des infrastructures et d’accès à des technologies qui permettraient de modifier les comportements, alors jouer sur la demande permettrait de réduire 40 à 70% des émissions globales de gaz à effet de serre.
Le message est clair : il faut exploiter ces leviers et réfléchir à ce que cela induirait en termes de changements de comportements et de modes de vie.
Réduire la demande, c’est actionner le levier de la sobriété…
Nous n’utilisons pas ce mot-là pour être plus concis. Notre analyse repose sur le triptyque “avoid-shift-improve”, soit “éviter-changer-améliorer”.
C’est-à-dire éviter certaines consommations – je limite les vols long courriers par exemple –, conserver les usages mais utiliser des modes moins émissifs pour les satisfaire – je continue à me déplacer sur de courtes distances, mais au lieu d’utiliser une voiture, j’y vais à pied ou en vélo – et enfin, satisfaire une même demande, mais grâce à une technologie plus efficace – je remplace ma vieille voiture par un véhicule moins émetteur.
Vous citez l’exemple des transports. Le rapport du Giec mentionne soixante actions individuelles de sobriété qui pourraient limiter les émissions de gaz à effet de serre de divers secteurs. Quelles sont-elles ?
En termes d’alimentation, c’est considérer le type de régime alimentaire ou encore l’approvisionnement des aliments en passant par des circuits courts. Il s’agit aussi de rapprocher les lieux de travail des logements et de rassembler les besoins fondamentaux dans les périmètres plus concentrés. Recycler, réparer plutôt que racheter.
Il faut absolument remettre les choses en perspective. Ce qu’on met en évidence, c’est que les 10% des ménages les plus riches dans le monde contribuent à environ 40% des émissions globales alors que 50% des plus pauvres contribuent à environ 15%. Il y a donc une disparité dans la responsabilité. La sobriété se conçoit dans les pays riches, mais pas dans les pays où la demande n’est pas excessive, où la population cherche simplement à satisfaire des besoins fondamentaux du quotidien.
Pour mettre en place ces gestes, le rapport du Giec souligne que “la motivation des individus ou des ménages (…) est généralement faible”.
Ces derniers mois, l’actualité a pourtant imposé des baisses de consommation aux Français. Cette semaine encore, une coupure d’électricité a été évitée notamment grâce à la mobilisation des consommateurs. C’est encourageant ?
Effectivement, diminuer sa consommation ne semble pas si compliqué que ça, puisqu’on voit des résultats assez rapides.
Mais si le Covid a engendré un creux de consommation et d’émissions, les habitudes ont vite repris. La crise en Ukraine génère aussi des baisses de consommation, mais on ne sait pas si c’est un changement conjoncturel ou structurel. On voit ici que ce sont deux crises qui touchent les gens, ça montre qu’il faut des déclencheurs pour qu’on se sente concernés et qu’on agisse.
On doit faire le constat que la question climatique ne déclenche pas de changement des comportements à la hauteur des enjeux.
Le Giec existe depuis 1988 et les alertes sont une petite musique qui revient à chaque rapport. Il y a un frémissement, et puis ça retombe tranquillement. Je me demande comment ça se fait que des changements n’aient pas réussi à être mis en place depuis dix ou vingt ans…
Alors que nous constatons que les événements liés à l’actualité peuvent induire des changements, je suis atterrée par le fait que la crise climatique ne les induise pas, sauf peut-être chez les générations plus jeunes.
Les politiques eux-mêmes semblent peu s’emparer de la sobriété comme levier d’action face à cette crise. L’analyse des programmes des candidats à la présidentielle le montre aussi. Pourquoi, d’après vous ?
Les mandats politiques sont à très court terme, les sujets dont on parle à très long terme. Il y a sans doute une incompatibilité entre ces deux dynamiques temporelles, qui fait que les débats sont ce qu’ils sont.
Comment changer la donne alors ?
Dans ce rapport, on a aussi cherché à comprendre quel type précis de déclencheurs pouvait susciter ces transformations de comportement.
L’éducation, l’information est très importante. Il faut expliquer de manière pédagogique ce qu’il se passe, convaincre de prendre le sujet en considération pour que ce soit une priorité. Ça peut être par exemple au travers de groupes d’influence, une proportion de personnes qui pousse pour déclencher un changement général, avec des figures charismatiques.
On peut penser à Greta Thunberg, qui a par exemple été un moteur pour sa génération et des personnes plus âgées. Et ensuite, la pression remontera vers les décideurs, vers les nombreux niveaux de gouvernance impliqués, pour mettre en place un cercle vertueux.