Ne plus acheter neuf
Consommer moins et vivre autrement

Ne Plus Acheter, De Neuf

Elles chinent, farfouillent et trouvent. Des modeuses d’un nouveau genre accourent vers les portants à vêtements des fripes dans l’espoir de trouver la pièce unique, ou le t-shirt au rabais. On les repère le plus souvent dans les boutiques de seconde main, parfois déambulant dans les brocantes ensoleillées, entre les carafes d’eau et les vieilles BD de Tintin.

« C’est plus amusant de chercher plutôt que de faire un tour en magasin avec des vêtements alignés, et tu te sens récompensée quand tu trouves des pièces sympas », estime Pauline, 26 ans. Depuis plusieurs années, le dressing de cette chargée de communication ne compte plus que des pièces de seconde main.

Tout a commencé au lycée en raison d’un budget serré.

Et les habitudes sont restées. « Aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal à mettre 50 euros dans un pull chez Zara, alors que la moyenne des prix tourne autour de 15 euros sur Vinted pour cette marque », témoigne-t-elle.

La culpabilité

Pour d’autres, la motivation écologique prend le dessus. « Je ne fais pas produire de nouveaux produits », affiche Florian, un jeune infirmier qui n’a pas mis les pieds dans un magasin depuis plusieurs années. Vêtements, équipement, affaires de sport, électroménager… presque tout chez lui a eu une première vie ailleurs.

Le défi qui donne bonne conscience peut parfois virer à l’angoisse, façon éco-anxiété ou solastalgie … Capucine n’en est pas arrivée à ce stade, mais la culpabilité est bien là quand il lui arrive d’acheter du neuf. 

« Dans ces cas-là, je me dis que je ne fais pas une bonne action, témoigne cette cheffe de projet de 25 ans. Parfois, il y a un vêtement que je souhaite vraiment mais que je ne trouve pas en seconde main. J’essaye de le prendre le plus éthique possible… j’essaye. »

Les marques classiques s’adaptent

Au niveau mondial, le marché de la revente est estimé entre 30 et 40 milliards de dollars, et devrait croître de 15 % à 20 % au cours des cinq prochaines années, note une étude du BCG avec Vestiaire Collective. Les jeunes générations sont les fers de lance de ce mouvement. « Ils sont davantage dans une posture d’être que d’avoir. Posséder les produits, c’est surtout les posséder avec les autres. Ils sont en quête d’une expérience conviviale avec leurs amis pour trouver des pièces uniques ou qui ne sont pas commercialisées dans le marché du neuf », analyse Elodie Gentina, enseignante-chercheuse à l’Ieseg.

De l’autre côté, le secteur « classique » de l’habillement a connu une chute de 15 % de son chiffre d’affaires en 2020, remarque l’Institut Français de la mode (IFM). Les marques traditionnelles n’ont pas d’autre choix que de s’adapter. Les expérimentations fleurissent ces dernières années.

Auchan, allié à la friperie Patatam, accueille dans près d’une centaine de magasins des affaires d’occasion et ce, de toutes marques.

On peut aussi citer aussi Kiabi, Camaïeu, Cyrillus, Jules… Même H & M, le temple de la fast fashion, se pare d’affaires d’occasion depuis 2019, et propose aussi une reprise des vieux vêtements contre un bon d’achat. Tout récemment, elle a lancé l’opération « Rewear » au Canada, un site en ligne pour revendre (et acheter) les vêtements de la marque.

Nouvelle source de croissance

« On doit être plus proche de nos clientes et les écouter », avance Quitterie Barennes, à l’initiative du projet seconde main chez Pimkie, une marque prisée des 18-25 ans. Après plusieurs années difficiles (fermetures de magasins à l’international, plans de licenciements…), la marque organise sa mue vers une démarche plus éco-responsable.

Et cela passe notamment par la seconde main, en dispensant 10 % de l’espace dans ses boutiques à des fripes d’occasion, vendues au poids avec l’aide du spécialiste Eureka Fripes. Et bientôt, la marque devrait proposer ses propres vêtements à la vente de seconde main.

Après une expérimentation dans 4 magasins (Paris, Rouen, Lille et Bordeaux), Pimkie annonce développer 16 nouveaux corners dans les prochaines semaines, à Strasbourg, Toulouse ou encore Nantes.

Un « Re. Love Shop » Pimkie. Dans chaque magasin se trouve une balance et les clients achètent au poids. Il faut compter 30 euros le kilo l'été, 20 euros l'hiver. Les vêtements sont principalement issus de marques japonaises, « reconnues pour leur qualité et leur durabilité », précise Quitterie Barennes, responsable RSE de la marque.
Un « Re. Love Shop » Pimkie. Dans chaque magasin se trouve une balance et les clients achètent au poids. Il faut compter 30 euros le kilo l’été, 20 euros l’hiver. Les vêtements sont principalement issus de marques japonaises, « reconnues pour leur qualité et leur durabilité », précise Quitterie Barennes, responsable RSE de la marque.Pimkie

S’il est encore trop pour donner des chiffres, l’occasion représente indéniablement une nouvelle source de croissance pour la marque avec derrière l’idée d’attirer de nouvelles clientes et recréer du trafic en magasin. C’est sur cet aspect que capitalise Freepry, une jeune pousse qui propose une plateforme numérique pour faciliter la vente d’occasion pour les grandes enseignes et les boutiques indépendantes, que ce soit pour leur propre marque ou pour accueillir des vêtements de friperie.

Attirer de nouveaux clients

Parmi ses offres, celle de permettre à un vendeur et un acheteur de déposer et chercher les vêtements d’occasion directement dans un magasin. Un peu comme un relais colis, mais cette fois-ci les acheteurs peuvent essayer. « On observe une hausse de 12 % de la fréquentation dans les boutiques. Et une hausse du panier de 14 % pour les acheteurs », avance Paul Karam, l’un des fondateurs.

Et d’ajouter : « Les marques ont compris le potentiel de l’occasion, surtout quand elles voient leurs vêtements revendus sur les plateformes en ligne de seconde main et que ce marché leur échappe. »

La collaboration s’organise aussi. Cet été, le géant SEB a injecté de l’argent dans Back Market, la start-up des produits électriques et électroniques reconditionnés. Sa filiale espagnole va même commercialiser directement sur la plateforme ses propres produits de petit électroménager reconditionnés.

La puissance des plateformes

Il faut dire que les sites de seconde main ne cessent de gagner en puissance. Les chiffres de Vinted, qui captait en 2018 déjà 56 % de ce marché selon l’IFM, ont de quoi donner le tournis : 45 millions de membres dans le monde, dont 17 millions en France, premier marché de cette start-up lituanienne.

Vinted est l’une des plus grandes écoles de commerce de France

Elodie Juge, Chercheuse

Rappelons que le français Vestiaire Collective, axé plutôt sur le luxe, est devenu une licorne au printemps dernier après une levée de fonds de 178 millions d’euros. Sans oublier l’historique LeBonCoin et ses 29 millions d’utilisateurs chaque mois, où l’on peut pratiquement tout acheter d’occasion.

Une hyperconsommation ?

Un marché florissant donc, mais pas forcément vertueux pour la planète. Si tout peut s’acheter en seconde main, tout peut aussi se revendre. Et c’est là que le bât blesse. Pour Elodie Juge, docteure à l’université de Lille, autrice d’une thèse à ce sujet, les plateformes de vente d’occasion pousseraient à l’hyperconsommation.

« Beaucoup de consommateurs de ces plateformes vendent pour racheter derrière, avec dans l’idée d’aller toujours plus vite, de suivre le rythme de la fast fashion. La motivation n’est pas d’être décroissant ni d’aller plus lentement », analyse-t-elle.

La course aux petits prix de certaines pièces pousse ainsi à se dire : « ce n’est pas grave, ce n’est pas cher » ou bien « je peux toujours revendre ». Les plateformes encourageraient la pratique. « Tout est fait pour que ce soit rapide : vous êtes noté sur le temps de réponse, pénalisé si vous n’envoyez pas les colis assez vite, quand l’emballage n’est pas soigné… Il faut être meilleur que les autres, avoir 5 étoiles », poursuit la chercheuse.

Pour certains vendeurs, la seconde main devient un vrai complément de revenus. On peut citer Vinted, mais aussi le londonien Depop qui cartonne chez les ados et « développe leur esprit entrepreneurial », estime Elodie Gentina de l’Iéseg. D’autres n’hésitent pas à spéculer et achètent des vêtements en friperie dans l’unique but de les revendre.

Tout est bon pour « jouer à la marchande » et créer une concurrence avec les magasins : conseils pour faire des photos, rédiger les annonces, négocier, optimiser les ventes… « Vinted est l’une des plus grandes écoles de commerce de France », grince Elodie Juge. Une remarque qui amuse Pauline, la chargée de communication. 

« C’est vrai. Quand tu commences à vendre sur Vinted, tu le fais entre deux trucs. Après, tu as envie de vendre plus et tu t’adaptes : photos léchées à la mode Instagram, publier régulièrement, identifier les bonnes heures de la journée… »

Marion

Fondatrice du blog - Solutions Alternatives

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